Alors que l’arbitrage international devient de plus en plus coûteux, le financement par des tiers apparaît comme la solution pour permettre à des parties qui ne sont pas en mesure de financer un litige d’avoir accès à la justice. Ce mécanisme présente toutefois des limites en ce que ce les financements par des tiers sont également synonymes d’investissement pour les tiers-financeurs. Par conséquent, les institutions arbitrales ont été amenées à discuter d’une éventuelle réglementation du financement par des tiers. En avril 2018, le groupe de travail dit “Queen Mary” de l’ICCA a émis des recommandations et des principes visant à fixer les limites du financement par des tiers.
(i) Le financement par des tiers ou comment parier sur des procédures d’arbitrage
a) Le mécanisme de financement par des tiers
Au cours des dernières années, les procédures d’arbitrage sont devenues plus coûteuses et plus longues, excluant de facto les parties qui ne peuvent supporter ces coûts. Le financement par des tiers s’est alors développé pour contrecarrer cette tendance. Par la conclusion d’un accord, une entité externe accepte ainsi de financer totalement ou partiellement des frais juridiques d’une partie en contrepartie d’un rendement convenu1. La majorité du temps, le tiers bailleur de fonds recevra un pourcentage convenu de l’indemnité (généralement entre 20 % et 50 % du montant accordé) ou des honoraires de réussite2. Comme le financement par des tiers transparaît désormais comme un investissement rentable, une grande diversité de bailleurs de fonds s’offre aux parties à la recherche de financement3. Les bailleurs de fonds peuvent désormais être des banques, des compagnies d’assurance, des fonds d’investissements ou même des individus qui souhaitant financer la représentation juridique des parties en contrepartie d’un profit4.
Ce type d’opération financière est devenu courante dans les procédures d’arbitrage, et plus particulièrement dans l’arbitrage d’investissements5. Selon l’enquête Queen Mary et White & Case International Arbitration de 2015, 39 % des personnes interrogées avaient en pratique eu recours à des financements par des tiers, et 19 arbitrages entre États et investisseurs ont été financés par ce mécanisme6.
La jurisprudence a également confirmé cette tendance. Dans son ordonnance de procédure, le tribunal arbitral statuant sur le litige EuroGas Inc. et Belmont Resources Inc. contre la République slovaque a décrit le financement par des tiers comme une pratique courante7.
b) Les impératifs de la conclusion d’un accord de financement par des tiers
Ce succès est la conséquence des avantages qu’offre le financement par des tiers, notamment pour les demandeurs, la réduction de certains des risques associés à des procédures d’arbitrage coûteuses. La partie financée peut ainsi porter la demande devant le tribunal arbitral sans se préoccuper des problèmes de trésorerie liés aux frais d’arbitrage8.
Le financement par des tiers permet également d’exercer des pressions sur la partie adverse aux fins de conclusions d’un règlement9. En effet, les bailleurs de fonds sont prêts à investir dans des réclamations qui sont susceptibles de réussir. Avant d’investir, les bailleurs de fonds mènent souvent des enquêtes approfondies et effectuent leur propre analyse des chances de succès des réclamations10. Par conséquent, un financement par des tiers, parce qu’il sous-entend une réelle probabilité de réussite du demandeur, peut encourager le règlement rapide du litige, une fois que le défendeur apprend que la demande a été faite avec l’appui d’un bailleur de fonds.
L’obtention d’un financement par un tiers exige du demandeur la détermination du coût de sa procédure d’arbitrage. En contrepartie du financement, le demandeur devra en effet partager une partie importante des gains à l’issue de la sentence arbitrale avec le bailleur de fonds11.
Selon les modalités de l’accord de financement, les bailleurs de fonds peuvent aussi se réserver le droit d’approbation de la sentence arbitrale12. Le demandeur peut ainsi perdre son autonomie dans le processus décisionnel.
De manière tout à fait paradoxale, la conclusion d’un accord de financement par des tiers peut dès lors être coûteuse. Les frais avancés courent le risque d’être perdus si la demande de financement n’était pas acceptée. Parce que seulement une demande sur 25 reçoit in fine les financements requis, les demandeurs doivent faire preuve de réflexion avant de présenter leur demande de financement13. Il est donc important de déterminer dans quelles hypothèses le financement par des tiers est approprié14.
(ii) Le financement par des tiers : règlementer ou ne pas règlementer ?
a) Les préoccupations déontologiques soulevées par le financement par des tiers
Le rôle de plus en plus prépondérant de cette nouvelle méthode de financement a soulevé plusieurs préoccupations éthiques parmi les institutions arbitrales et les commentateurs. En effet, il n’est pas rare que les bailleurs de fonds interdisent aux parties de divulguer leur identité, l’existence même d’une relation entre eux, les demandeurs et leurs avocats voire même l’utilisation de ce mode de financement15. Par conséquent, les institutions arbitrales ont commencé à s’interroger sur la confidentialité de ces accords de financement, en ce qu’ils peuvent créer des conflits d’intérêts. Les lignes directrices de l’IBA sur les conflits d’intérêts dans l’arbitrage international ont étendu l’obligation de divulgation entre l’arbitre et la partie aux personnes ou entités ayant un intérêt économique direct dans la sentence à exécuter16. En 2016, la CCI a suivi l’IBA en adoptant une note d’orientation concernant la divulgation des conflits par les arbitres. En vertu de l’obligation générale de tous les arbitres d’agir en tout temps de manière impartiale et indépendante, les arbitres sont soumis à l’obligation de déclarer tout type de relation qu’ils pourraient avoir avec toute entité ayant un intérêt économique dans le litige17.
Lorsqu’ils font une demande de financement, les parties doivent souvent transmettre les documents pertinents aux bailleurs de fonds. Il s’agit donc de déterminer si cette information entre dans le champ d’application de l’obligation de confidentialité. En règle générale, la divulgation à un tiers bailleur de fonds est possible sans entraîner une violation des obligations de confidentialité applicables, car elle constitue une exception à l’obligation de confidentialité dans toutes les lois arbitrales18. En outre, à titre de preuve générale, il n’est pas nécessaire de divulguer la participation d’un tiers bailleur de fonds à la partie adverse19.
Habituellement, les arbitres déterminent si la divulgation à un tiers a fait l’objet d’une renonciation à tout privilège de preuve applicable de manière casuistique20.
Enfin, les universitaires et les membres des institutions arbitrales s’efforcent de résoudre la question de la répartition des coûts dans les procédures d’arbitrage impliquant des tiers bailleurs de fonds. Bien qu’un arbitre anglais de la CCI ait jugé que, dans certaines circonstances, une partie financée avec succès pouvait recouvrer le coût du financement, une telle approche n’est pas automatique et dépendra du cas d’espèce21. Afin de prévenir les incohérences jurisprudentielles, les intervenants ont dès lors pris des mesures pour règlementer le financement par des tiers.
b) La règlementation du financement par des tiers en développement
Certains pays ont déjà règlementé le financement par des tiers dans les procédures d’arbitrage. En mars 2017, Singapour a modifié sa loi civile pour légaliser le financement par des tiers22. Cette légalisation n’est cependant pas absolue et est très détaillée. Par exemple, les sections 49A et 49B des règles de la profession d’avocat de Singapour autorisent les avocats à présenter des bailleurs de fonds à leurs clients tant qu’ils ne tirent aucun avantage financier direct de la recommandation23. En outre, les avocats sont tenus de révéler au tribunal et à chaque partie à la procédure l’existence de tout contrat de financement par un tiers24. Hong Kong a également règlementé le financement par des tiers en créant une obligation de divulguer l’existence d’un accord de financement25. Contrairement à Singapour, ce sont les parties financées qui doivent divulguer l’existence de l’accord de financement, quel que soit leur choix de conseil26.
Afin d’homogénéiser les règles sur le financement par des tiers dans les procédures d’arbitrage, le groupe de travail Queen Mary a émis plusieurs recommandations en 2018. S’appuyant sur une enquête réalisée à partir de 2015, dans laquelle 15 % des personnes interrogées estiment que la divulgation de l’existence de fonds de tiers devrait être obligatoire, le rapport recommande une “obligation positive pour les arbitres d’examiner les conflits potentiels”27. De tels conflits comprennent les cas où l’arbitre a été nommé dans de nombreuses causes financées ou a reçu un financement de bailleurs de fonds28. Les rapports découragent également les cabinets d’avocats de nouer des relations d’affaires avec les bailleurs de fonds29.
Le groupe de travail Queen Mary a rédigé une annexe contenant des principes clés sur la divulgation et les conflits d’intérêts, le secret professionnel, la répartition des coûts et la sécurité des parties. Ainsi, conformément au principe B.1, un accord de financement et l’identité d’un tiers bailleur de fonds ne sont pas couverts par le secret professionnel30. Le principe C.1 précise qu’à la fin d’un arbitrage, le recouvrement des frais ne peut pas être refusé au motif qu’une partie demandant des frais est financée par un tiers bailleur de fonds31. En outre, le principe C.4 dispose qu’“en l’absence d’un pouvoir exprès, dans la législation nationale ou les règles de procédure applicables, un tribunal n’a pas la compétence pour rendre une ordonnance relative aux dépens contre un tiers bailleur de fonds”32.
Bien que la présente annexe soit illustrative d’une volonté de règlementer le financement par des tiers, de telles dispositions doivent être interprétées comme du “droit mou”. En d’autres termes, ces principes et recommandations ne sont contraignants que si les parties arbitrales ou les législateurs les adoptent33.
Bien que le financement par des tiers soit un mécanisme séduisant pour une partie cherchant à financer une demande d’arbitrage fondée, les demandeurs devraient d’abord déterminer si un tel accord de financement va réellement dans le sens de leurs intérêts avant de le conclure. En effet, le financement par des tiers soulève de nombreuses questions déontologiques, encourageant ainsi les institutions arbitrales et même les États à règlementer ce mode de financement.