Africa

L’arbitrage : la montée de l’Afrique

Dans le cadre de la mondialisation, davantage d’entreprises se sont engagées dans des transactions transfrontalières. L’arbitrage est graduellement apparu comme la méthode de résolution de conflits la plus effective pour résoudre les litiges en lien avec ces transactions internationales. Une concurrence existe entre les juridictions pour devenir le siège des procédures arbitrales de référence. Londres, Paris, New York et même Hong Kong sont ainsi devenues les villes phares pour l’arbitrage international. De nouveaux lieux deviennent néanmoins propices à l’arbitrage international. Grace à une ouverture économique importante, certaines villes africaines développent actuellement une législation visant à attirer des litiges transfrontaliers de commerce et d’investissement.

(i) L’Afrique : un marché d’arbitrage intéressant

Au cours des dernières années, certains pays africains ont pu témoigner d’une croissance notable d’investissements étrangers. Selon une étude du Financial Times, le capital d’investissement a augmenté de 65% en 2014 et les investissements directs étrangers (IDE) ont augmenté de 6% sur le continent africain 1. Malgré une légère diminution du flux d’IDE en Afrique en 2016, la CNUCED prévoit que les IDE entrant augmenteront de presque 10% en 2017 2. Tandis que les IDE en Afrique du Sud et Centre Afrique ont respectivement diminué de 18% et 15%, les flux en Afrique de l’Est, Afrique de l’Ouest et Afrique du Nord continueront à augmenter grâce à d’importants projets d’IDE en Ouganda et au Nigeria 3. Cette tendance devrait se poursuivre, les pays africains négociant actuellement des accords de partenariats économiques avec l’Union européenne 4.

En raison de cette augmentation des IDE durant les dernières années, le nombre de litiges a de manière corrélative battu tout record. En 2017, 87 affaires d’Afrique subsaharienne ont été portées devant la Chambre de Commerce Internationale (ICC) 5. 153 parties d’Afrique subsaharienne ont été impliquées dans des affaires d’arbitrage commercial international 6. Ces chiffres représentent un taux de croissance de 35.9% pour les affaires et 40.4% pour les parties 7. En 2018, 15% des affaires portées devant le Centre International pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) impliquaient un Etat partie d’Afrique subsaharienne 8.

Un autre facteur à l’origine du développement de l’arbitrage en Afrique est la législation en faveur de l’arbitrage de nombreux pays africains. Alors qu’il existe une perception selon laquelle l’arbitrage n’est que peu développé en Afrique, la situation actuelle fait preuve du contraire.

Premièrement, la majorité des pays Africains sont signataires de deux conventions d’arbitrage importantes. En effet, 36 des 54 pays ont signé la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères et 47 sont parties à la Convention CIRDI 9.

En outre, les juridictions africaines sont généralement favorables à l’arbitrage, car elles permettent d’imposer des sentences à des entreprises appartenant à l’Etat 10. Dans l’affaire Dowans par exemple, un tribunal tanzanien a imposé une indemnité de 65 millions de dollars à la Tanzania Electric Supply Company 11. Le Centre d’arbitrage international de Kigali (KIAC) a prononcé trois sentences arbitrales contre les parties gouvernementales dont l’exécution a été ordonnée par les tribunaux rwandais. Il a également été décidé qu’il n’appartenait pas aux juges nigérians et tanzaniens de renverser une sentence arbitrale pour des raisons d’ordre public ; interdiction démonstrative d’un ferme engagement à faire exécuter la sentence arbitrale internationale 12. Etant donné que le développement de l’arbitrage international est essentiel pour attirer davantage d’investissements étrangers et développer une économie ouverte, les pays africains ont concentré leurs forces afin d’élaborer un cadre juridique adapté et des institutions d’arbitrages régionales.

(ii) Attirer des arbitrages par le biais d’institutions régionales

Afin de promouvoir l’investissement et de garantir la sécurité juridique, 17 pays africains se sont associés en 1993 pour créer l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA). Reconnaissant l’importance de l’arbitrage international en tant que mécanisme de règlement des différends, l’OHADA a promulgué en 1999 une Loi uniforme sur l’arbitrage ainsi que la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) 13. Pour s’adapter aux nouvelles pratiques et encourager les parties à choisir un arbitrage ayant lieu à l’OHADA, le Conseil des ministres OHADA a adopté, le 15 décembre 2017, une nouvelle loi uniforme sur l’arbitrage et un règlement d’arbitrage pour la CCJA 14.

Ces nouveaux instruments visent à refléter les tendances actuelles de l’arbitrage international. Pour mettre en place un dialogue entre les parties, le tribunal arbitral peut contraindre les parties à accomplir toutes les étapes préliminaires (telles que la conciliation, la médiation ou la négociation) 15. Les nouveaux instruments OHADA sont également adaptés à un arbitrage complexe puisque les articles 8.1 et 8.2 du règlement d’arbitrage offrent la possibilité pour des nouvelles parties de participer à la procédure 16. Les arbitres ont même la possibilité de consolider plusieurs procédures connexes engagées en vertu d’une clause d’arbitrage distincte 17.

Le retard dans les procédures d’arbitrage pouvant dissuader les parties d’opter pour ce mode alternatif de résolution des conflits, la version mise à jour prévoit un délai de 30 jours pour contester le bon déroulement de la procédure d’arbitrage 18. Même si l’arbitre ne rend pas de décision dans les 30 jours, la CCJA peut prendre l’initiative de rendre une décision dans un délai raisonnable 19. En outre, l’article 14 de la loi sur l’arbitrage interdit aux parties d’utiliser des procédés dilatoires 20. L’article 16 du règlement interdit aux parties qui auraient identifié une irrégularité sans la soulever de le faire à un stade ultérieur de la procédure d’arbitrage. Ces dispositions visent à garantir une procédure efficace et à promouvoir ainsi l’arbitrage OHADA 21.

La nomination de l’arbitre pouvant constituer un terrain fertile pour les conflits, les règles définissant la constitution du tribunal arbitral ont également été modifiées. La nouvelle version de la loi sur l’arbitrage a élaboré une nouvelle procédure visant à réglementer la nomination des arbitres. Conformément à l’article 5 de la loi sur l’arbitrage et en l’absence d’un accord entre les parties, la CCJA soumettra aux parties une liste de trois arbitres potentiels 22. Sur la base de l’ordre de préférence exprimé par les parties, la CCJA désignera ensuite le tribunal sur la base de la liste définitive 23. Encore une fois, l’objectif premier de ce nouveau mécanisme est de garantir un déroulement efficace des procédures et d’être attractif pour de nouveaux dossiers d’arbitrage .

Enfin, l’OHADA agit avec l’intention de faciliter la reconnaissance et l’exécution d’une sentence arbitrale, lesquelles sont toutes deux cruciales pour les parties à une procédure d’arbitrage. L’article 31 de la loi révisée impose ainsi un délai de 15 jours aux tribunaux nationaux pour décider de la reconnaissance et de l’exécution d’une sentence arbitrale 24. En plus de fournir un délai plus court, la loi sur l’arbitrage précise que la sentence sera réputée reconnue par le tribunal d’Etat, si celui-ci ne statue pas sur le délai 25. Plus ambitieux encore, la nouvelle loi sur l’arbitrage prévoit que les juridictions étatiques devront statuer sur la demande d’annulation dans un délai de trois mois à compter de la date de réception de la demande. Si le tribunal ne se conforme pas à cette exigence, la CCJA sera compétente pour rendre une décision dans les 6 mois 26. Les avocats et les auteurs émettent cependant des doutes quant au respect de ces délais lorsque la procédure d’appel devant la cour d’appel de Paris dure en moyenne entre 12 et 18 mois 27.

D’autres institutions arbitrales ont vu le jour ces dernières années. La doctrine décrit la Fondation d’arbitrage de l’Afrique du Sud (AFSA) comme un “centre puissant en matière d’arbitrage international en Afrique australe28. La Chine étant le plus grand partenaire économique des pays africains 29, l’AFSA et le Centre d’arbitrage international de Shanghai (SHIAC) ont créé le Centre d’arbitrage conjoint Chine-Afrique (CAJAC) pour fournir une institution d’arbitrage neutre et rentable 30. Initialement situés à Johannesburg et en Chine, les représentants de la CAJAC ont inauguré le 5 juin 2018 un nouveau centre CAJAC qui accueillait la première conférence de résolution des différends à Nairobi 31.

Au cours des dernières années, les pays africains ont réfuté la présomption selon laquelle l’arbitrage était une pratique sous-développée sur le continent. En effet, nombre d’entre eux ont adopté des lois favorables à l’arbitrage qui facilitent la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales. Ils ont même concentré leurs forces pour développer des institutions d’arbitrage compétitives avec des pratiques avancées, dans l’espoir de devenir le nouvel hotspot de l’arbitrage international.

Auteurs
Publié par Thalia Gerzso et Stéphane de Navacelle dans Arbitrage